Nous sommes le 46 avril.
J’ai quelque part entre 25 et 75 ans.
J’ai fini Netflix hier. En télétravail, j’ai dit tout ce que j’avais à dire en un seul courriel.
J’ai souri à tout le monde à l’épicerie. Mais comme j’étais masquée, personne n’a remarqué.
Heureusement qu’il y a vos noms et vos visages dans mes contacts et sur les réseaux sociaux pour me rappeler qui vous êtes. La semaine passée, j’ai oublié mon propre nom. Deux fois.
Le mois dernier, en marchant dans mon quartier, j’ai arrêté de reconnaître les rues. Elles commencent toutes par « Saint », je crois.
Puis, tous les jours, devant un écran à 11 h 15 ou à 13 h, ça me revient. Merci, Patrice Roy.
Depuis deux mois, malades de la COVID-19 et personnel de première ligne mènent le combat de leur vie contre un ennemi invisible, qui semble parfois insaisissable. Mais la majorité de la population, confinée, se bat sur un autre front depuis deux mois, contre un adversaire millénaire et encore plus difficile à saisir.
L’ennui.
Et ce « rhume de l’âme » (probablement un cousin par alliance de la famille des coronavirus) gagne du terrain à chaque annonce de l’extension du confinement.
Les médias et les experts parlent surtout des effets de l’isolement sur la santé mentale. Stress, détresse, perte de la notion du temps, changement dans la perception du temps… ma collègue Léa Beaulieu en parle dans sa première capsule psycho, que je vous encourage à lire pour mieux comprendre l’impact du confinement sur le cerveau.
Mais si l’anxiété me prend à la gorge sans avertissement, je vois l’ennui venir de loin. Il m’envoie même la main lorsque je regarde par la fenêtre un peu trop longtemps.
Comme j’avais du temps libre, j’ai donc décidé d’en apprendre davantage sur l’ennui.
Tout d’abord, les philosophes essaient de définir, d’expliquer et de comprendre l’ennui depuis l’Antiquité. Et personne n’arrive à s’entendre sur le sujet depuis des siècles. Ça me semble assez prometteur pour tuer le temps.
J’ai commencé par écouter un podcast sur l’ennui. Bon, en fait, c’était un enregistrement d’une table ronde avec des professeurs et des doctorants en philosophie. La qualité du son laissait à désirer. Après quelques minutes, l’émission n’était plus que du bruit de fond. Quelques heures plus tard ou bien le lendemain soir, j’ai secoué la tête. C’était terminé, et je n’avais rien retenu. Mais je n’avais rien écouté non plus.
Irritée d’avoir succombé à l’ennui, j’ai redoublé d’efforts pour me renseigner à son sujet. Je savais que je devais aller voir du côté de la philosophie, et c’est en parcourant les grandes lignes des théories de l’ennui que j’ai reconnu certains éléments mon quotidien en quarantaine.
Par exemple, l’autre jour, en déjeunant, je me suis demandé si j’avais une tendance naturelle à m’ennuyer, et si je remplissais mes journées d’activités pour combler un vide quelconque. L’être humain est-il condamné au divertissement? Ce matin-là, j’ai bu mon café avec un peu de lait et une pointe d’angoisse.
Puis, lors d’une conférence Zoom, perdue dans mes pensées, j’en suis venue à la conclusion que mon ennui n’était rien de moins qu’une preuve de la futilité de mon existence. C’est évidemment à ce moment précis que quelqu’un m’a posé une question à laquelle j’ai dû répondre deux fois plutôt qu’une (mon micro était fermé). Rires et malaise sur fond de crise existentielle.
Mais il n’y a pas que les grands penseurs qui peuvent nous aider à cerner l’ennui. Le Web regorge de pages et d’articles de développement personnel avec des titres tels que : « Cinq trucs pour vaincre l’ennui », ou encore « S’ennuyer pour être heureux ».
Zut.
Décidément, en psycho-pop comme chez les philosophes, personne ne s’entend.
Dois-je donc éviter l’ennui comme le coronavirus? Ou devrais-je plutôt l’accueillir à bras ouverts, geste rare au temps de la distanciation physique?
En tout cas, du moment que ça me garde occupée…
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