Ce n’est pas de gaieté de cœur que Hugo s’est résigné à fermer la fenêtre de La Distributrice, une semaine après la fermeture des commerces non essentiels. Dès le départ, le copropriétaire du plus petit café de spécialité du Québec ne savait pas s’il allait être en mesure de garder le comptoir ouvert malgré la crise. Il faut préciser que le local de vingt-cinq pieds carrés, avec sa fenêtre coulissante et sa façade bleue à un jet de pierre du métro Mont-Royal, ne prend que les commandes pour emporter. Et en l’absence d’espace dédié à la consommation, le café était donc en droit de poursuivre ses activités.
« Nous avons pris la décision de fermer parce que nous voulions vraiment limiter notre impact et ne pas affecter nos clients », explique Hugo. Les clients, encore moins nombreux que lors des journées de verglas du mois de janvier, respectaient pourtant les recommandations de distanciation physique. « Une Distributrice de distance entre les clients », précise-t-il avec une pointe d’humour.
Mais il y avait aussi toutes ces mesures sanitaires supplémentaires qui étaient difficiles à mettre en place avec un seul employé à la fois sur les lieux. Avant l’arrivée de la COVID-19, La Distributrice comptait quatre baristas qui effectuaient quelques quarts de travail par semaine. C’est leur inquiétude grandissante à l’idée de venir travailler qui a décidé les propriétaires à fermer boutique.
Et à ouvrir leur boutique en ligne il y a quelques jours.
C’était prévu depuis un certain temps, et cela faisait partie de leur nouveau plan d’affaires. Le projet est passé en mode prioritaire. « C’est une belle manière de rendre accessibles les meilleurs cafés de spécialité. Et de repositionner notre marque pour promouvoir davantage les torréfacteurs du Québec », estime Hugo.
Le Web a effectivement beaucoup à offrir aux amateurs de café local comme Zoë, qui travaille dans le domaine de la restauration. Elle commande ses grains de café en ligne depuis environ six mois. Elle a même essayé les « abonnements de café », un service mensuel de vente en ligne qui commence à gagner en popularité. Elle a toutefois interrompu son abonnement auprès d’un torréfacteur de Toronto, préférant désormais consommer plus local. « On a de très bons torréfacteurs montréalais. Très talentueux. Quand je choisis mon café, je me base sur les notes de dégustation et, parfois, sur l’origine dans les descriptions de produits. Mais toutes les sortes de café montréalais que j’ai essayées sont bonnes! » Avant la pandémie comme en pandémie, elle trouve son compte sur le Web.
Le cybercommerce du café de spécialité (ou d’exception) a explosé avec l’arrivée du coronavirus. Ça, les propriétaires du Café Lanterne l’ont bien remarqué. Ce micro-torréfacteur montréalais est arrivé sur la scène du café d’exception en juin 2019, après plus d’un an de recherche et de développement. Fournisseur commercial pour quelques cafés indépendants, dont La Distributrice, Café Lanterne fait également dans la vente aux particuliers. Mais avec la fermeture temporaire de plusieurs points de vente, la clientèle se tourne massivement vers l’achat en ligne directement sur leur site Web, dont la refonte était prévue ce printemps.
« Nos ventes en ligne auprès des particuliers ont augmenté de 2500 %! Notre première publicité diffusée sur les réseaux sociaux a rejoint 54 000 personnes et la deuxième, 32 000, en un mois et demi seulement », raconte Mathieu, l’un des trois propriétaires.
Au-delà de la soif de bon café local des consommateurs, il semble que leur décision d’offrir la livraison gratuite à travers la province y soit également pour beaucoup. Et ils reçoivent des commandes de partout au Québec. « Nous avons toute une clientèle à gagner, et pas qu’à garder », lance Mathieu. Il trouve encourageant de voir les ventes dépasser les frontières de Montréal et de la Rive-Sud. « Nous sommes une petite entreprise qui a besoin de visibilité et qui a encore une crédibilité à bâtir », ajoute-t-il.
Bien qu’ils n’aient pas de commerce physique, les propriétaires de Café Lanterne sentent néanmoins le poids de la pandémie sur leur entreprise. Ils aiment aller à la rencontre des clients, commerciaux comme particuliers, pour leur faire découvrir leurs produits. Impossible en contexte de crise sanitaire.
Ce contact humain manque également à Zoë. Pour elle, le véritable attrait de s’arrêter dans un café est de pouvoir interagir avec les gens. Et bien qu’elle aime faire son café à la maison, il lui arrivait de passer en prendre un en allant au boulot. Un café indépendant près de son travail offre même le café gratuit aux gens de l’industrie de la restauration. Du moins, c’était le cas avant que tout ne ferme, y compris le restaurant où elle travaille.
À La Distributrice, propriétaires et employés ont eux aussi hâte de retrouver leurs clients. En attendant, on leur propose « d’acheter un café qui en vaudra deux » sur la boutique en ligne. Une belle façon d’encourager le plus petit des grands cafés, au-delà d’y acheter ses grains de café.
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