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Partir au feu en zone chaude

Découvrez le témoignage poignant de Fany, une jeune infirmière envoyée en zone chaude pour aider les malades de la COVID-19.


Fany Boulerice en zone froide – Gracieuseté

Lorsque la pandémie a envahi le Québec, Fany Boulerice a volontairement intégré un « hôtel-COVID ». En effet, dans le courant du mois d’avril, le CISSS de la Montérégie-Ouest a ouvert des unités médicales dans l’hôtel Plaza de Valleyfield pour héberger les patients atteints de la COVID-19. Mais, malgré sa grande expérience dans le domaine médical, Fany ne s’attendait pas à devoir affronter des conditions aussi difficiles.

« Après deux jours, je ne faisais que pleurer. Je ne pleurais pas devant les intervenants, car je voyais bien qu’ils avaient besoin de soutien et, en tant qu’assistante, j’étais supposée être leur personne de référence. Alors, je pleurais en allant au travail puis en revenant chez nous » – Fany Boulerice

Du haut de ses 28 ans, Fany Boulerice œuvre dans le domaine de la santé depuis 10 ans. D’abord préposée aux bénéficiaires durant ses études, elle est dorénavant infirmière à l’hôpital Anna-Laberge de Châteauguay depuis 8 ans. Elle livre un témoignage poignant de sa difficile expérience en zone chaude, au moment où la COVID-19 frappait fort.

Une lourdeur psychologique et physique

Le 20 avril, la jeune infirmière a endossé le rôle titanesque d’assistante d’unités de soin en zone chaude, c’est-à-dire dans un secteur où tous les patients sont atteints de la COVID-19. « Mon rôle, c’était d’avoir toutes les réponses », résume-t-elle. Mais que faire quand il n’y en a pas ? « Quand je suis arrivée, j’ai demandé ce qu’on devait faire en cas de décès d’un patient. L’unité dans l’hôtel venait d’ouvrir et on m’a dit : « je ne sais pas… quand on va le vivre, on verra ! » J’étais choquée car venant d’un milieu très protocolaire, je me disais qu’on ne pouvait pas attendre qu’il y ait un mort… qu’il fallait prévoir les choses ! Mais là, c’était vraiment au jour le jour », se souvient-elle.

Une chambre de l’hôtel-covid – Gracieuseté du CISSS de la Montérégie-Ouest

De plus, le personnel soignant sous son aile ne disposait pas de la formation adéquate. « Nos préposés ne sont pas forcément… de vrais préposés. Ils sont tous auprès des patients, mais ils peuvent être orthophonistes ou techniciens en éducation spécialisée. C’est vraiment disparate. », précise-t-elle. « C’était difficile de soutenir des personnes qui sont stressées et qui venaient donc toujours me voir pour revalider leurs gestes. Il y en avait qui n’avaient pas fait de prises de sang depuis des années… donc il fallait que je les accompagne dans la chambre du patient pour les aider », se remémore-t-elle. Un accompagnement que Fany a dû assumer en plus de ses autres responsabilités, notamment celle de soutenir ses collègues en détresse. « Il fallait que je les prenne à part, que j’essaie de les faire parler et les soutenir… Mais, en étant assistante, il fallait aussi que je gère toutes les autres sphères médicales, la pharmacie, le laboratoire », explique-t-elle.

Les conditions de travail s’avèrent terriblement éprouvantes. Puisque l’unité de soin venait d’ouvrir, le manque de matériel s’ajoutait à l’absence d’un réseau internet sur le site. « On était en zone chaude, et si on voulait une information, on n’était pas capable de l’avoir », lance-t-elle. Reflet de l’agitation générale, les personnes-ressources en dehors de l’hôtel étaient souvent injoignables. « C’était frustrant. J’essayais de les joindre, car j’avais des questions, mais ça ne marchait pas… Sauf que j’étais la personne de référence dans l’hôtel, donc il fallait toujours que je trouve un plan B, un plan C. On devait être très débrouillard », raconte-t-elle.

À ces difficultés organisationnelles, s’ajoute la charge physique de l’équipement. Les patients peuvent circuler librement dans l’unité puisqu’ils sont tous positifs à la COVID-19. Face à eux, le personnel soignant est complètement protégé. « On reste habillé tout le long de la journée. On ne peut pas manger ni boire quand on est dans l’unité. On ne peut pas non plus aller aux toilettes. D’où l’importance de prendre ses pauses, sinon on se supporte plus », confie-t-elle.

« Les gens deviennent encore plus stressés s’ils restent habillés 8 h de suite » – Fany Boulerice

Fany mentionne tant de fois la « lourdeur » de cet attirail, « on dirait qu’on se rajoute un 10 livres sur les épaules. C’est plus difficile de travailler, surtout au début ». Le port du masque et de la visière est, évidemment, obligatoire pour les soignants de l’hôtel-covid. « C’est difficile, physiquement. Ça prend des jours pour s’habituer à respirer avec un masque, les gens ont aussi beaucoup de maux de tête… » En écoutant son témoignage, on ne peut s’empêcher de prendre une grande respiration.

L’hôtel-covid – Gracieuseté du CISSS de la Montérégie-Ouest

Fuir ou faire face

Au travail durant 14 h à 16 h par jour, Fany essaie de tout faire, parfaitement. « D’habitude je dors bien, mais là je dormais 4 h par nuit. J’étais vraiment rendue à me réveiller à 4 h 30 du matin. J’avançais sur mon travail depuis la maison pour qu’en arrivant à l’hôtel à 7 h 30, ce soit plus facile », explique-t-elle.

Alors, inévitablement, la jeune femme finit par s’épuiser.

« À un moment donné, j’ai dit à mon chum que je serais mieux d’avoir un accident de voiture, comme ça au moins je ne devrais pas aller travailler… » ­­– Fany Boulerice.

Face à ces conditions psychologiques et physiques difficiles, beaucoup auraient jeté l’éponge. Mais pas Fany. Au cœur de la crise, elle a choisi de rebondir en utilisant son expérience personnelle et professionnelle pour aider ses collègues. « J’ai expliqué à mon organisation que quand les soignants arrivaient dans l’hôtel, ils ne recevaient aucune formation. Personne n’était là pour les accueillir et les sécuriser avant de rentrer dans la zone chaude », explique-t-elle. Afin d’aider à remédier à cette situation, Fany a débuté le 30 avril un nouveau poste de conseillère en soins infirmiers.

Accompagner pour mieux soigner

Fany a ainsi construit un programme d’accueil pour les nouveaux soignants de l’hôtel-covid, afin de les aider à trouver plus facilement leurs repères dans la zone chaude. « Je me disais que j’aurais aimé avoir ce soutien, car moi, j’ai été pitchée sur l’unité, on m’a laissée toute seule, sans orientation. J’étais supposée tout savoir… Mais personne ne m’a d’abord informée ».

Dans le cadre de son nouveau poste, Fany donnait également des formations aux soignants, parfois directement dans la zone chaude. « J’ai formé environ 500 personnes sur la manière de s’habiller et procéder à l’hygiène des mains. Ce sont des formations pour rassurer les gens. Il y avait vraiment de l’anxiété partout, dans tous les milieux hospitaliers. C’est comme si les soignants ne s’étaient jamais habillés de leur vie ! », explique-t-elle.

Vinrent ensuite des formations sur les particularités liées à la pandémie, comme emballer le corps d’une personne décédée, « version COVID ». Autre spécificité, Fany explique que dans l’hôtel-covid personne ne savait comment réanimer une personne atteinte de la COVID. Initialement, l’hôtel-covid ne devait accueillir que des patients avec des symptômes légers. Mais, rapidement, d’autres unités ont dû être ouvertes qui accueillaient patients en détresse respiratoire ou en situation de mort imminente.

« Ça dégringole vraiment rapidement… Le matin, nos patients vont super bien, on les voit manger et puis, finalement, ils décèdent dans l’après-midi » – Fany Boulerice

« Tout ce qu’on nous disait, c’est que si un patient fait un arrêt cardio-respiratoire, il ne fallait pas le masser ! », explique-t-elle. En effet, la crainte était trop grande que les soignants se contaminent en faisant des compressions thoraciques. Il fallait donc attendre que l’ambulance emmène le patient dans un « vrai » hôpital, avec une équipe de réanimation. Cette situation était très choquante pour le personnel soignant, d’autant plus que certains de leurs patients étaient… leurs collègues.

Preuve de l’instabilité générale, à la fin du mois de mai, le ministère a émis une nouvelle directive qui autorisait à nouveau la pratique des massages cardiaques. Fany a donc dû reformer ses collègues à l’idée qu’ils ne risquaient finalement pas de s’infecter en procédant à un massage cardiaque…

Aujourd’hui, Fany se sent mieux. Même si cette expérience était humainement difficile, elle admet avoir beaucoup appris. « Maintenant, je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas », affirme-t-elle. Petit à petit, elle a même fini par normaliser la situation, « je me suis dit que je faisais juste ma job. Je savais que j’étais dans une zone plus à risque, mais c’est ça mon rôle en tant qu’infirmière ».

Des témoignages comme celui de Fany permettent de prendre conscience de la résilience dont a dû faire preuve le personnel soignant à chaque instant de la crise sanitaire… et à leur dévotion remarquable à l’égard de la population.

Zone chaude, zone froide… Même combat ?

Fany Boulerice a travaillé dans l’« hôtel-covid » de Valleyfield dans une zone chaude ou sont regroupés les patients positifs à la COVID-19. En même temps, sa mère, Chantal Lefort, préposée aux bénéficiaires depuis plus de 10 ans, vivait la pandémie dans une zone froide de l’hôpital Anna-Laberge à Châteauguay. Leurs sources d’anxiété sont bien différentes… Mais pas forcément comme on l’imagine.

Attention, vous entrez en zone froide

Chantal Lefort, âgée de 50 ans, confie être angoissée à 1’idée de tomber malade ou de contaminer son mari. Puisqu’elle travaille dans une zone froide, elle ne dispose pas d’un équipement aussi protecteur que sa fille, Fany. Alors, quand elle rentre chez elle, Chantal se déshabille dans son garage et fonce sous la douche, « ça fait un peu partie du rituel », lâche-t-elle.

Chantal Lefort

Pourtant qualifié de zone froide, son département a été déclaré « en éclosion » à la fin du mois d’avril après la découverte de trois patients positifs à la COVID-19.

La préposée se souvient de la panique générale lorsque la première personne a été déclarée positive, « c’était l’apocalypse dans le département ». En manque de jaquettes de protection, Chantal et ses collègues devaient porter des tenues à manches courtes. « On nous disait de nous laver les mains jusqu’en dessous des bras… mais quand on a su pour la dame contaminée, je pense que c’est la goutte qui a fait déborder le vase », confie-t-elle. Plus de 20 membres du personnel ont été mis à l’arrêt suite à cette éclosion, mais pas Chantal qui ne présentait aucun symptôme.

Chantal et ses collègues ont alors été soumis à des mesures strictes de sécurité, sous la surveillance d’une employée de la protection et contrôle des infections (PCI) chargée de vérifier, notamment, le lavage des mains. À ce moment, pour protéger son mari, elle a aussi décidé de dormir dans l’ancienne chambre de sa fille, « c’est ce que nous suggérait l’hôpital », précise-t-elle.

Malgré tout, Chantal n’a jamais songé à arrêter. Si elle admet que parfois, elle se sent fatiguée, elle trouve son travail très valorisant. « Juste faire un zoom avec les familles pour le bien-être du patient, pour moi, c’est ça ma paie », confie-t-elle.

Quand sa fille avait besoin de préposés à l’hôtel-covid, Chantal avait offert son aide. Elle pense qu’elle se serait peut-être sentie plus en sécurité dans la zone chaude… Qu’en pense Fany ?

Relax, vous êtes en zone chaude

Étonnamment, Fany admet se sentir en sécurité lorsqu’elle se trouve dans la zone chaude. « On a tellement l’habitude d’être tout habillé qu’on se sent protégé grâce à l’équipement », explique-t-elle. Par contre, aller à l’épicerie est dorénavant un exercice trop stressant pour elle, alors elle fait ses courses en ligne. « Finalement, je me sens plus en sécurité auprès de gens atteints du COVID-19 parce que je sais à quoi m’attendre… C’est vraiment un sentiment spécial », confirme-t-elle.

Fany Boulerice

Fany dit essayer de se « déprogrammer, de normaliser la situation » même si elle admet toujours se sentir anxieuse. Elle estime que les personnes qui ont travaillé dans une zone chaude vont vraiment avoir de la difficulté à se réhabituer à voir des personnes qui ne font pas attention aux mesures sanitaires. « C’est devenu tellement un automatisme. À l’hôtel-covid, on n’a pas d’autres choix que de se promener avec un masque et une visière », explique-t-elle.

Un plan psychosocial COVID-19 

L’angoisse vécue par les employés comme Chantal et Fany est prise au sérieux par le CISSS de la Montérégie-Ouest. Des initiatives de soutien ont vu le jour, comme la mise en place d’une équipe terrain qui va à la rencontre d’équipes dans lesquelles le niveau de stress est plus important, explique Sophie Lepage, l’une des personnes qui veille au bon déroulement du plan psychosocial COVID-19.

Une ligne téléphonique a également été mise en place dans le contexte de la pandémie pour soutenir activement les employés et les bénévoles.  Sophie confirme qu’une cause fréquente d’appels concerne le stress des employés face au risque d’être contaminé ou de contaminer leurs proches.

« Mais là, ce qu’on voit de plus en plus s’installer, c’est de l’épuisement », ajoute-t-elle. Pas forcément par rapport au rythme de travail, mais plutôt par rapport aux conditions spécifiques liées à la COVID. « Il faut s’imaginer ces personnes qui sont depuis des mois, tous les jours, confrontés au virus. Il faut s’habiller durant de longues minutes, il fait chaud et ils ne peuvent même pas aller aux toilettes… », précise-t-elle.

Mais cette aide ponctuelle ne sera pas suffisante. « Quand les gens vivent un stress incroyable et puis que tout d’un coup, la cause du stress disparait, c’est souvent à ce moment que des symptômes apparaissent. On s’attend à cela », explique Sophie. Pour faire face à cette situation, le plan psychosocial du CISSS de la Montérégie-Ouest comprend aussi une « phase de rétablissement » qui vise à soutenir les employés pour leur permettre « se réadapter au retour dans leur équipe ou à mieux s’adapter à ce qu’ils ont vécu », déclare l’intervenante psychosociale.

Une production journalistique réalisée par :

  • Coralie Beaumont

    Avocate de formation, j'ai ensuite suivi un master passionnant en sciences et gestion de l'environnement à l'Université Catholique de Louvain en Belgique. Je termine en ce moment un D.E.S.S. en journalisme à l’Université de Montréal avec l’ambition de devenir journaliste environnementale au Québec. 


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