Agence de Presse21

La terre continue de tourner

Anne Fortin, Andrée Deschênes et Jean-Christophe Bourque St-Hilaire nous font part de leurs impressions au milieu de ce tumulte pandémique.


Anne Fortin à l'ouvrage dans sa serre
Photo courtoisie du Jardin des Pèlerins

Souvent cités comme les prestataires d’un service essentiel, les agriculteurs et agricultrices du Québec semblent pourtant effacés de la scène médiatique. Que pensent-ils de ces projecteurs braqués soudainement sur leur ouvrage ? Anne Fortin, Andrée Deschênes et Jean-Christophe Bourque St-Hilaire nous font part de leurs impressions au milieu de ce tumulte pandémique. Le monde est en pause mais, pour eux, la terre continue toujours de tourner.

Coralie Beaumont & Carla Geib

Dans un monde qui défile au rythme des saisons, l’empressement du gouvernement de voir naître une plus grande autonomie alimentaire au Québec sonne presque comme un caprice. « Je veux que le Québec devienne plus autonome pour les fruits, les légumes et tous nos aliments », déclarait François Legault le 17 avril dernier.

Mais on peut bien taper des pieds et des mains, ça ne poussera pas plus… ni plus vite. « Ça me prend plus de main d’œuvre, plus de semences. Se réorganiser sur quelques mois, ça ne se fait pas ! Ça reste de la nature ! », explique Jean-Christophe, un jeune agriculteur de Saint-Georges en Beauce.

De plus, l’efficacité des mesures d’aides gouvernementales est également tributaire des délais imposés par la loi naturelle. “Pour la majorité des agriculteurs, le travail au champ va commencer fin avril, début mai. Nous on est déjà en production !”, explique Anne, appuyée par le regard approbateur d’Andrée à ses côtés.

 

Affronter le tumulte

L’agriculture, c’est comme un gros vaisseau presque aussi vieux que l’humanité. Sa longévité fait sa force et sa sagesse. Le temps se compte en années. Parfois en décennies.

Un contraste saisissant avec notre société actuelle, droguée à l’adrénaline.

 

Alors, pour faire virer un si gros vaisseau, il faut beaucoup de temps et de détermination. La trajectoire alimentaire doit être clairement définie par un capitaine qui, à la barre, est capable d’anticiper les besoins plutôt que réagir aux crises.

A défaut de directives claires, l’équipage est alors livré à lui-même. Seul face aux intempéries.

 

Heureusement, une petite partie de l’équipage voyait déjà, au loin, poindre une tempête. Jean-Christophe a constaté une plus grande reconnaissance de la part de ses consommateurs ces dernières années et bien plus encore depuis l’éclatement de la crise sanitaire.

Un changement de consommation suffisant pour amorcer un changement de cap.

 

Mais, dans le tumulte, il ne suffit plus de tourner le gouvernail. C’est tout l’équipage qui doit se mettre à la tâche pour aider notre vaisseau de subsistance à se dépêtrer de la tempête.

Rapidement, le gouvernement a ouvert ses coffres pour inciter les québécois à travailler dans les champs. « J’invite les Québécois à en profiter ! Je pense que ce serait une belle expérience pour beaucoup de gens », s’enthousiasmait François Legault dans son point de presse du 17 avril.

Cette immédiateté tranche, à nouveau, avec la pérennité nécessaire à l’agriculture pour garantir notre sécurité alimentaire.

Des fermes avaient la possibilité de planter davantage. Comme le Jardin des Pèlerins à Saint-André de Kamouraska qui avait des semences et de l’espace à disposition. Alors, à leurs risques et périls, elles l’ont fait. Leurs paroles résonnent à l’unisson : il n’était pas envisageable de laisser tomber les consommateurs de la région.

Pour d’autres fermes, comme celle de Jean-Christophe, il était déjà trop tard.

 

Après la tempête…

Tant pour nos agricultrices que pour notre agriculteur, une meilleure autonomie alimentaire au Québec semble, à ce jour, une terre lointaine. Bien des étapes restent encore à franchir pour y parvenir.

C’est peut-être d’abord dans le camp des consommateurs que la partie doit débuter. “Je pense qu’il y a un gros travail à faire du côté de ceux qui achètent les produits », confirme Andrée.

Les choix de consommation de chacun et chacune d’entre nous impactent directement le travail de nos agriculteurs.

 

Les serres se taillent également une belle place dans l’imaginaire des trois agriculteurs. Même si, selon Andrée, c’est encore « coûteux », les serres pourraient permettre de cultiver davantage. « Ça peut être une belle alternative mais on a tout de même besoin de soleil pour faire pousser les plantes, mais l’hiver les journées raccourcissent », avertit Jean-Christophe.

Ce dernier entrevoit quant à lui l’avenir avec davantage de micro-fermes, « faire toucher ce mode de vie à Monsieur et Madame tout le monde et aux jeunes pour aller rechercher ce goût de vouloir travailler le sol ».

La période estivale caractérisée par une « saison remarquablement productive » en fruits et de légumes au Québec pourrait permettre de faire des réserves pour l’hiver, pense Andrée. « Un congélateur, faire sécher les aliments, préparer, transformer chez soi. Peut-être que ça peut se faire ! », ajoute-t-elle. Ces paroles font échos à celles de Jean-Christophe, « dans le temps, nos ancêtres congelaient les fruits et légumes de l’été, pour en avoir pendant l’hiver », explique-t-il.


Le temps de la transition

La transition vers l’agriculture biologique est une belle illustration du temps qui doit faire son œuvre. Qu’importe les urgences sanitaires ou les agendas politiques, le cycle naturel reste obstinément imperturbable.

Quand Anne et Andrée ont créé leur Jardin des Pèlerins en 1999, elles savaient déjà qu’il faudrait beaucoup de temps pour atteindre leur objectif. Après 10 à 15 ans, « on commence vraiment à être dans un autre monde ! », explique Andrée.

Pour illustrer cet autre monde, Anne parle de leurs bleuetières entourées de haies brise-vent et d’arbres. « Les gens viennent faire de l’autocueillette chez nous. Ils sont tous étonnés : il n’y a pas de filet pour les oiseaux ». Elles expliquent que comme elles n’arrosent pas d’insecticides, alors les oiseaux ne mangent pas leurs fruits. « Puisqu’on leur laisse les insectes !», rigole Anne. « Les oiseaux, en été, ils ne sont pas fous ! Ils sont mieux de manger des protéines pour faire des réserves pour l’automne et l’hiver » poursuit-elle.

À la question de savoir si l’agriculture biologique est capable de nourrir le monde en temps de crise, Anne persiste et signe. « L’humanité, si elle ne comprend pas que c’est par le biologique qu’il faut passer, elle est dans un foutu bordel ! » s’exclame-t-elle. Selon elle, avec cette crise, « la planète nous lance un sérieux message ».

Les deux agricultrices se réjouissent de voir que les jeunes qui démarrent des productions maraîchères dans leur région de Kamouraska se tournent vers l’agriculture biologique. « Y’a pas de jeunes en maraîcher qui démarrent présentement dans notre région sans aller vers le biologique. Ça, c’est là.  Il y a quelque chose. Il y a un mouvement ! », se réjouit Anne.

Le temps nous dira si la transition vers l’agriculture biologique poursuit, tranquillement, son chemin.

Nos intervenants

Illustration d'Anne et Andrée

Illustration d'Anne et AndréeIllustrations : Carla Geib

Avant de se tourner vers l’agriculture biologique, Anne Fortin (à gauche) a été cuisinière en auberge de jeunesse puis éducatrice en garderie. Andrée Deschênes (à droite), est une agronome de formation qui a grandi dans une ferme laitière et érablière.

En 1999, Anne et Andrée ont lancé ensemble le projet du Jardin des Pèlerins à Saint-André de Kamouraska. Depuis plus de vingt ans, elles expérimentent les bienfaits d’une agriculture certifiée biologique.

 

Jean-Christophe Bourque St-Hilaire est agriculteur depuis neuf ans. Il exploite une ferme détenue par sa famille depuis cinq générations à Saint-Georges en Beauce.

En 2017, il a décidé de créer sa propre entreprise, les Jardins de Jean-Christophe. En plus d’être présent sur les marchés publics, il propose à ses consommateurs un système de paniers hebdomadaires de fruits et légumes.

 

Une production journalistique réalisée par :

  • Coralie Beaumont

    Avocate de formation, j'ai ensuite suivi un master passionnant en sciences et gestion de l'environnement à l'Université Catholique de Louvain en Belgique. Je termine en ce moment un D.E.S.S. en journalisme à l’Université de Montréal avec l’ambition de devenir journaliste environnementale au Québec. 

  • Étudiante au DESS en Journalisme - Je m’appelle Carla Geib et j’ai 22 ans. Diplômée d’une licence en sciences politiques européennes, je suis actuellement finissante au D.E.S.S en journalisme. Désormais incapable de sortir sans mon appareil photo, je ne songe plus qu’à une chose : réaliser de superbes photo-reportages et donner une dimension humaine à mes productions.


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