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Concrètement, c’est quoi un “Living Lab” ?

Si vous ne comprenez pas le titre de cet article, ça vaut sans doute la peine de le lire.


Illustration de Richard Fleet réalisée par Coralie Beaumont

Qu’on l’appelle laboratoire d’innovation, écosystème d’innovation ouverte ou, plus communément, Living Lab, aucun de ces petits et grands noms ne permet d’en deviner la fonction. C’est d’ailleurs un exercice franchement périlleux de définir en quelques lignes cette nouvelle approche. Le Dr Richard Fleet s’y risque en qualifiant un Living Lab de nouvelle « philosophie » qui permet d’apporter « des solutions utiles, pertinentes et prioritaires » à un milieu de vie.

Le Dr Fleet, qui est titulaire de la chaire de recherche en médecine d’urgence de l’Université Laval, est aux premières loges pour en parler. Grâce à son initiative, la région de Charlevoix abrite depuis quelques mois un Living Lab. La région ne remporte toutefois pas le prix de l’exclusivité : depuis quelques années, des Living Lab poussent un peu partout dans le monde, y compris à Montréal et au Cégep de Rivière-du-Loup. Le potentiel de ces projets innovants et audacieux mérite de s’y attarder pour en comprendre les rouages.

Un Living Lab c’est une nouvelle philosophie, d’accord… Mais encore ? En feuilletant un Livre Blanc de 2014 à ce sujet, il en ressort qu’un Living Lab est une structure administrative légère qui a pour objectif de trouver et de tester rapidement des solutions innovantes afin de combler des besoins locaux. L’implication des usagers directement dans le processus de création et l’expérimentation des solutions en situation réelle apparaissent comme deux clés fondamentales de cette nouvelle approche. Après quelques pages, une mise en garde attend les curieux : « Malgré leur essor, il est encore difficile d’expliquer clairement ce que sont les Living Labs ». Décidément…

Bon, soyons honnêtes. Ces deux définitions ne suffisent absolument pas à se représenter ce qu’est, concrètement, un Living Lab et en quoi diable cela peut, concrètement, améliorer la vie des citoyens… Alors, à grands coups d’exemples, le Dr Fleet propose de démystifier son projet grâce à quelques étapes intuitives qui donnent envie de lancer un Living Lab dans son entreprise, dans son épicerie et dans son quartier.

Le bouillon des réflexions

La première étape consiste à identifier clairement un besoin important : « en région rurale, qu’est-ce que vous voulez vraiment ? », résume le Dr Fleet. Cet exercice paraît, à première vue, assez simple, mais implique surtout un questionnement en profondeur et une bonne compréhension des besoins de la communauté.

Par exemple, l’hôpital flambant neuf de Baie St-Paul n’a pas de scanner. « C’est un peu un scandale », s’indigne le médecin. Il rappelle qu’une personne au Québec a trois fois plus de risques de mourir d’un traumatisme en région rurale que dans la région urbaine de Montréal, notamment en raison du manque de personnel et de machinerie. Alors, la communauté de Charlevoix s’est mobilisée dans le cadre du Living Lab pour tenter de combler ce besoin jugé essentiel. « Il y a eu beaucoup d’articles dans les médias et des publications scientifiques. On s’est regroupé avec les citoyens et lancé une pétition qui a été signée par tous les médecins de l’hôpital », énumère-t-il.

Le Living Lab entend faire bénéficier de son expérience tous les autres milieux qui auraient besoin d’une pièce d’équipement. Pour cela, le Living Lab de Charlevoix documente « tous les efforts de la communauté au cours des dernières années pour obtenir un scanner et les raisons pour lesquelles elle ne réussit pas à l’obtenir », ajoute encore le médecin.

Le tourbillon des solutions

Une fois qu’un besoin est clairement identifié, l’étape suivante est de trouver des solutions qui s’inspirent de la littérature scientifique et de ce qui a déjà été fait ailleurs. « C’est là qu’on est dans le brainstorming un peu sophistiqué », s’enthousiasme le Dr Fleet.

Par exemple, un autre défi des régions rurales est le manque de médecins et de spécialistes. Dr Fleet lance alors dans un tourbillon d’interrogations : « est-ce qu’on peut transmettre des images et des informations médicales de manière sécurisée à des médecins éloignés ? Ou utiliser la réalité augmentée ? La télémédecine peut-elle être utile lorsqu’on doit transférer un patient dans un autre hôpital, mais qu’il n’y a pas de médecins disponibles ? Dans ce cas, pourrait-on appuyer une infirmière dans l’ambulance grâce à ce programme de télémédecine ? »

La construction de prototypes

Fort d’idées de solutions, reste à trouver la manière de les réaliser, concrètement. Pour cela, c’est simple : il suffit de « construire » des prototypes.

Par exemple, pour combler le manque de médecins et de spécialistes en milieu rural, une solution imaginée dans le Living Lab consiste à attirer des médecins en résidence, c’est-à-dire des médecins encore en formation, « pour qu’ils voient la région, qu’ils travaillent en équipe, et qu’ils vivent une expérience dans la région de Charlevoix », explique Dr Fleet.

Un prototype de formation a donc été créé afin d’accueillir ces futurs professionnels et espérer ainsi les retenir dans la région. De plus, grâce à la flexibilité offerte par le Living Lab, ce projet de formation a pu être rapidement redéfini afin de mieux répondre aux défis soulevés par la crise sanitaire en milieu rural.

Le lancement d’expérimentations

Vient, enfin, le temps d’essayer les solutions ! Depuis le début de ce mois de juin, deux résidents en médecine d’urgence spécialisée, deux résidents en médecine familiale et une finissante en ergothérapie effectuent un stage à Charlevoix dans le cadre du Living Lab, une première au Québec. « Avec ces stagiaires, on va tester une formation qu’on a jamais faite : une formation sur le leadership et l’innovation » se réjouit le Dr Fleet.

Cette expérience unique qui se déroule au sein du Living Lab de Charlevoix est en tout cas la preuve que cette nouvelle philosophie peut se concrétiser par des solutions bénéfiques pour les citoyens.

Le temps de l’évaluation

Mais ce n’est qu’un début. « Des solutions vont fonctionner et d’autres pas », admet déjà le médecin, mais « si on attend que les choses soient parfaites, ça ne fonctionnera pas ». C’est pour cela que dans le cadre d’un Living Lab, les solutions sont évaluées pour être adaptées et améliorées au besoin.

Et ensuite ? « Nous sommes une équipe de recherche. On a lancé l’idée, on a mobilisé les personnes et on a commencé à former un comité avec des citoyens, des décideurs, des professionnels, etc. Ce qu’on souhaite, c’est que ce comité s’approprie le Living Lab », explique Dr Fleet.

Un Living Lab c’est un projet qui n’a pas de fin. « C’est la création d’un nouveau mode de fonctionnement dans le milieu hospitalier », se réjouit encore le médecin. Il espère que d’autres milieux s’approprieront le modèle du Living Lab pour l’améliorer et l’adapter à leurs propres besoins.

La bureaucratie est, selon lui, la principale menace qui plane au-dessus ce projet. En effet, la philosophie qui préside dans un Living Lab est de rechercher et de tester des solutions concrètes sans devoir demander des tas d’autorisations à des tas de comités. « On anticipe ce problème. C’est pour cela que notre projet mobilise beaucoup de personnes. Ça devient alors plus difficile de refuser les innovations… », conclut-il.

Le milieu hospitalier n’est évidemment pas le seul qui se prête à la création d’un Living Lab. Le projet Cité-ID Living Lab est, par exemple, consacré à la gouvernance de la résilience urbaine tandis que le Living Lab PROMIS s’intéresse à l’entrepreneuriat des immigrants au Québec.

La victoire de l’innovation face à la COVID-19

L’arrivée de la COVID-19 a donné un coup de fouet au Living Lab créé par l’équipe de recherche du Dr Richard Fleet. « Ça nous a permis d’aller de l’avant parce que les gens sentent la vulnérabilité des régions et ils sont probablement plus ouverts à l’idée de nous aider », confirme le médecin. Initialement centrée sur l’hôpital de Baie St-Paul, la structure du Living Lab englobe désormais toute la région de Charlevoix.

Le 4 mai 2020, Dr Fleet et son équipe ont remporté une subvention de 25 000 $ pour le Living Lab de Charlevoix dans le cadre d’un appel à projets de Réseau-1 Québec qui vise à soutenir des recherches sur l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur la première ligne au Québec. Cette somme leur permettra d’analyser l’expérience globale du Living Lab et des différents projets qui y sont développés.

Outre la formation déjà en cours de cinq stagiaires en « innovation et en leadership dans les milieux ruraux en temps de pandémie », le Living Lab développe en parallèle un projet de télémédecine et un projet d’aide au bien-être des professionnels notamment via des stratégies de gestion du stress. En effet, le Dr Fleet rappelle que le taux d’épuisement est très élevé chez les professionnels en tout temps, mais il s’attend à ce que cela empire avec la pandémie.

 

Une production journalistique réalisée par :

  • Coralie Beaumont

    Avocate de formation, j'ai ensuite suivi un master passionnant en sciences et gestion de l'environnement à l'Université Catholique de Louvain en Belgique. Je termine en ce moment un D.E.S.S. en journalisme à l’Université de Montréal avec l’ambition de devenir journaliste environnementale au Québec. 


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