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Éclosion de grossophobie en confinement

Après la période des fêtes et l’arrivée de l’été, le confinement devient un autre événement favorisant l’expression de gestes et de commentaires grossophobes, notamment sur les médias sociaux


Les militantes anti-grossophobie Edith Bernier et Elizabeth Cordeau Rancourt ont observé une nouvelle vague de grossophobie sur les médias sociaux suite à la mise en place du confinement. Illustration: Léa Beaulieu

Par Léa Beaulieu

La militante anti-grossophobie Elizabeth Cordeau Rancourt observe des messages grossophobes plus fréquents depuis le confinement. Edith Bernier, conférencière et blogueuse anti-grossophobie, constate que plusieurs se sont senti plus confortables d’adopter des discours grossophobes sur les médias sociaux puisque leur crainte de prendre du poids, notamment, semblait partagée par un grand nombre d’internautes. 

Selon Elizabeth, la période du confinement a créé un « effet de masse » comparable aux temps des fêtes ou au mois de mai, où les préoccupations sur le bikini body explosent. 

Peur, oppression et méconnaissance

Mais qu’est-ce que la grossophobie? Il s’agit de l’oppression systémique d’un groupe de personnes, à savoir les personnes grosses, sur la base du poids et de l’apparence physique, défini Elizabeth. Edith indique que cela englobe alors tous les comportements et attitudes discriminatoires ou hostiles envers les personnes grosses.

La nutritionniste Andrée-Ann Dufour-Bouchard ajoute que la grossophobie comprend également la peur du gros, de la prise de poids ou d’être gros. Andrée-Ann est aussi cheffe de projet chez Équilibre, un OBNL dont la mission est de favoriser le développement d’une image corporelle positive et l’adoption de saines habitudes de vie. Pour elle, « la grossophobie vient du fait qu’on ne comprend pas ou mal les causes de l’obésité, et on va automatiquement associer le fait que les gens soient gros au fait qu’ils ont de mauvaises habitudes de vie, qu’ils sont paresseux ou manquent de volonté ».

Andrée-Ann explique que plusieurs facteurs, en plus des habitudes de vie, contribuent à déterminer le poids d’une personne, comme la génétique et la relation avec son corps, la nourriture et l’activité physique. La santé a également plusieurs déterminants et « le poids en est un parmi une multitude, ajoute-t-elle. Par exemple, une personne mince qui a une mauvaise alimentation, qui fume et ne bouge pas, qui dort mal et est stressée va être en très mauvaise santé ». 

Andrée-Ann rappelle que les impacts négatifs de la grossophobie sont nombreux. « C’est associé à beaucoup de dépressions, d’anxiété et d’une relation plus difficile avec le corps et la nourriture. » La nutritionniste rapporte que la discrimination et les préjugés sont « présents partout »: dans les médias, dans le domaine de la santé ainsi que chez les employeurs ou à l’école. 

Edith ajoute qu’il est aussi plus difficile « de développer et maintenir des relations amoureuses saines » et de développer une bonne estime de soi  « si on te rappelle constamment qu’on ne veut rien de ton corps ». 

Le confinement favorise la crainte d’une prise de poids

Un sondage Léger-Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) a révélé que 34% des Québécois et Québécoises étaient davantage préoccupés à l’égard de leur poids qu’avant la crise. « On se retrouve à la maison, ayant moins accès aux activités qu’on avait l’habitude de faire, comme des activités sportives, tout en étant plus exposés au garde-manger, explique Andrée-Ann. Lorsque les gens ont l’impression de manger plus ou moins bien, et de moins bouger, ils font le raccourci très rapide vers l’idée d’une prise de poids ». 

L’ennui, la frustration et la déprime peuvent également mener au « réflexe d’aller vers le frigo, nomme Andrée-Ann. L’idée est alors de s’observer, de s’écouter et d’arriver à un équilibre. Il faut déterminer notre besoin, et ce n’est pas toujours à la nourriture de compenser ». La nutritionniste soutient tout de même que la perfection n’est pas à viser et qu’on « a le droit, des fois, de manger sans avoir faim si on sait que ça nous fera du bien ».

Edith croit que la crainte de prendre du poids démontre que la routine de plusieurs « leur a permis de développer des habitudes alimentaires dans la restriction. S’il y a si peu de contrôle lorsqu’on a accès à la nourriture, c’est que leur relation à la nourriture est moins saine, ou moins zen qu’on pourrait croire ».

La grossophobie sur les médias sociaux nous faisait croire que le pire était de devenir gros. Cela semblait devenir plus grave que d’attraper le virus, de perdre son emploi ou d’avoir un proche malade. C’est quoi ces priorités douteuses? — Edith Bernier

Mme Cordeau Rancourt fait valoir que « la COVID-19 n’a pas échappé à la grossophobie médicale, par exemple lorsqu’il était dit que les gens obèses sont plus à risque de développer des complications du virus. Déjà, je déteste le terme “obèse”1 ». Cela contribue d’après elle à donner raison aux memes grossophobes et à la peur de la prise de poids, par envie de demeurer en santé. « Encore une fois, on se retrouve à faire un tout de la santé et du poids », dénonce-t-elle. 

Elle fait remarquer qu’il s’agit aussi d’une source de stress supplémentaire en contexte de pandémie. « D’un côté, on nous dit que l’obésité est un facteur de risque face à la COVID, on nourrit la grossophobie ambiante, mais aussi le poids de la culpabilité et de se croire inadéquat. Parce qu’on peut se dire “C’est de ma faute s’il m’arrive quelque chose, c’est mon corps qui n’est pas correct” ».

https://www.instagram.com/p/BqIh7-WnRbL/

La grossophobie n’est alors jamais une blague. Elizabeth est d’avis qu’« il est possible de rire et se faire plaisir en n’attaquant personne ». Même si certains assurent que l’expression grossophobe est dirigée vers eux-mêmes lorsqu’ils la publient, son contenu évoque la peur de ressembler à une personne grosse, décrit-elle. « Et c’est un peu insultant, ça ne m’a jamais fait rire. » La militante ajoute que cela contribue à banaliser la grossophobie et les oppressions quotidiennes.

Une leçon d’espoir?

Face à cette nouvelle vague de grossophobie, Edith se questionne. « Qui sait si la normalisation et l’exacerbation des discours grossophobes vont accélerer le processus pour qu’on agisse pour ça », nomme-t-elle en référant à sa pétition contre la discrimination basée sur le poids, déposée à l’Assemblée générale le 12 mars.

 

Une relation de bienveillance 

Les trois intervenantes invitent à la bienveillance, pour soi et les autres. « C’est normal d’avoir peur de grossir, c’est ce qu’on nous inculque. Il ne faut pas se taper sur la tête de le penser, mais il faut se taper sur la tête pour ne pas revoir nos préjugés et élargir nos horizons à ce sujet », croit Elizabeth. 

Andrée-Ann souligne que le plaisir de manger fait partie de l’alimentation. Autrement, « c’est une grosse charge mentale, si on est toujours dans la culpabilité et qu’on se lève le matin en pensant à contrôler nos repas, nos calories et nos activités physiques ». Elle fait remarquer que nous avons tous un poids naturel, où nous nous retrouvons lorsque nos habitudes sont saines et stables, en plus de nous procurer du plaisir. « C’est le poids qu’on doit accepter, parce que c’est celui que nous dicte la génétique. » Le poids naturel s’oppose alors au poids « très contrôlé » de la personne qui s’entraîne à outrance et se prive dans son alimentation. 

Puis, Elizabeth réitère que rien ne devrait être question de chiffre ou de pression, mais plutôt de douceur et de bienveillance. « Il faut être indulgent envers notre corps, l’écouter et être doux. Perdre 10 livres n’améliore pas une situation. Si tu enlèves ces 10 livres de ta tête pour les mettre sur ton corps, way to go.  »

1. Pour en savoir plus sur le vocabulaire qui respecte les personnes grosses et l’adoption d’un discours anti-grossophobe, consultez l’article d’Edith Bernier.

 

Une production journalistique réalisée par :

  • Léa Beaulieu

    Étudiante en journalisme à l'UdeM et travailleuse sociale, je m'intéresse particulièrement aux problématiques et inégalités sociales. Je suis motivée par la possibilité d'exposer des réalités humaines en alliant rigueur et empathie.


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