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Dr Arruda et l’épinglette aux 17 facettes

L’épinglette du Dr Horacio Arruda c’est mieux qu’un talisman : c’est la roue du changement. Décodage d’un petit sigle qui en dit gros.


Credit : Émilie Nadeau

Vos yeux se sont peut-être déjà arrêtés sur l’épinglette multicolore qu’arbore constamment le Docteur Horacio Arruda lors des points de presse sur la covid-19. Brisons d’emblée le suspense : ce cercle coloré représente le logo des 17 objectifs de développements durables (ou « ODD » pour les intimes) des Nations Unies. Est-ce que tout a été dit ? Loin de là !

Dr Horacio Arruda. Crédits photo : Émilie Nadeau

Cet insigne n’est pas simplement décoratif. « La pandémie elle-même peut être reliée à tous les ODD », explique Charles Beaudry, le Directeur général d’Impact Hub Montréal, un réseau voué à la création de communautés entrepreneuriales pour un impact social positif. « L’objectif 3 des ODD, c’est la santé. Si j’étais Monsieur Horacio Arruda, c’est la raison pour laquelle je mettrais l’épinglette », présume, quant à elle, Chantal Line Carpentier, une québécoise cheffe du bureau de New York de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et Développement (CNUCED).

Les objectifs de développement durable restent encore peu connus au Québec et au Canada, regrette toutefois Charles Beaudry. « Sauf que depuis le 15 mars, les Québécois, sur une base quotidienne, voient l’emblème de la santé publique arborer le symbole des ODD. C’est une raison de plus pourquoi je pense que maintenant est un moment important pour faire sortir les ODD du placard », ajoute-t-il.

Les oh dé quoi ?

La liste des objectifs de développement durable (ou ODD) figure dans la Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015, intitulée le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ou, plus simplement, l’Agenda 2030.

Cet Agenda 2030 est un plan d’action mondial qui énumère 17 ODD comme l’élimination de la pauvreté et de la faim, la promotion de l’agriculture durable, l’égalité entre les sexes ou encore la conservation et la restauration des écosystèmes. « Si tu travailles sur trois des ODD, tu travailles sur tous, parce qu’ils sont tous interreliés », précise Chantal Line Carpentier.

D’après le site des Nations Unies, les ODD donnent « la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous » et « pour ne laisser personne de côté, il est important d’atteindre chacun d’entre eux, et chacune de leurs cibles, d’ici à 2030 ». En effet, les 17 ODD contiennent au total 169 cibles à atteindre telles que « faire en sorte que chacun bénéficie d’une couverture sanitaire universelle » ou encore que « d’ici à 2030, accroître nettement la part de l’énergie renouvelable dans le bouquet énergétique mondial ».

Les 17 objectifs de développement durable

Afin de mesurer la progression ou la régression de la mise en œuvre des ODD dans le monde, Chantal Line Carpentier explique que les Nations Unies sont en train de développer 33 indicateurs-clés pour lesquels les entreprises devraient faire une reddition de compte. À titre d’exemple de ces indicateurs, elle cite le pourcentage d’utilisation des énergies renouvelables, l’investissement dans la formation des employés ou encore le nombre de femmes dans le conseil d’administration. Ces 33 indicateurs-clés pourront être agrégés pour permettre à chaque pays de montrer la contribution de ses entreprises aux ODD. À terme, Chantal Line pense qu’il pourrait même devenir difficile pour les entreprises qui ne font pas cette reddition de compte d’avoir accès à du financement.

Les ODD « c’est très puissant comme cadre de travail ! », s’enthousiasme Chantal Line. Pour elle, la force des ODD, c’est qu’il s’agit d’un cadre qui a été négocié entre les États avec la société civile et adopté ensuite par 193 pays, dont le Canada. En effet, quand les parties prenantes participent aux négociations, elles ont ensuite tendance à faire sien l’accord adopté. « Pour la première fois dans toute l’Histoire, on a des objectifs communs et universels et, en plus, les gens se les approprient », ajoute-t-elle.

Chantal Line Carpentier. Photo courtoisie de Chantal Line Carpentier

Les ODD s’établissent durablement au Québec

« Le Québec a annoncé le 9 mars 2020, juste avant la crise, que sa prochaine stratégie de développement durable allait s’aligner avec l’Agenda 2030 et les ODD », explique Charles Beaudry.

Pour l’instant, la loi sur le développement durable de 2012 ne s’applique qu’au gouvernement. Mais, avec l’Université de Sherbrooke, « on est en train de revoir cette norme pour intégrer les ODD dedans et aussi pour qu’elle s’applique aux municipalités et pas seulement au gouvernement du Québec. C’est en discussion en ce moment », confirme Chantal Line Carpentier. Selon elle, « ça inciterait les municipalités à faire l’exercice de réfléchir aux ODD ». La Ville de Montréal s’est d’ailleurs déjà prêtée à l’exercice.

Charles Beaudry. Photo courtoisie de Charles Beaudry

Les municipalités québécoises ne sont pas seules à emboîter le pas des ODD. Créer en novembre 2019 dans le cadre de l’Impact Hub Montréal, le consortium Accélérer 2030 pour le Québec vise, comme son nom l’indique, à accélérer l’atteinte des ODD au Québec.

« Mon rôle est de développer un écosystème pour permettre aux entrepreneurs d’impact qui visent les ODD d’avoir du succès », explique Charles Beaudry. « On veut outiller les gens qui ont des solutions pour atteindre les ODD et pas se fier uniquement au fait qu’un cadre au niveau institutionnel est mis en place. On a besoin de se l’approprier sur le terrain », précise-t-il.

Le 22 mai prochain, le consortium Accélérer 2030 pour le Québec va d’ailleurs « dévoiler les premiers projets avec des organisations partenaires. Certains de ces projets vont s’adresser directement aux citoyens », annonce-t-il.

Les ODD pour façonner l’après covid-19

Avec le consortium Accélérer 2030 pour le Québec « on tente vraiment de démocratiser l’importance d’une relance économique, axée sur une vision long terme », explique Charles Beaudry, le directeur général d’Impact Hub Montréal.

Outre la tragédie, Chantal Line voit dans cette crise une opportunité de transition. « On a des investissements massifs que les gouvernements font en ce moment. On devrait demander des conditionnalités. Non, ce n’est pas correct d’avoir des investissements qui ne font pas des emplois verts ». Par exemple, selon elle, « si on veut investir dans les pétrolières parce qu’il le faut à cause des emplois, on devrait avoir des conditionnalités », comme réserver un pourcentage des revenus à la formation des employés pour la transition vers les énergies vertes ou s’assurer que les femmes soient présentes dans les postes de haute direction des entreprises, comme les conseils d’administration, illustre-t-elle encore.

Charles abonde en ce sens. « Les ODD représentent une vision long terme qui devrait être adoptée pour que les réponses qui sont faites aujourd’hui en période de crise adhèrent à un cadre long terme », explique-t-il. « Les déficits qui sont créés ce sont nos enfants et nos petits enfants qui ultimement vont payer pour », rappelle-t-il.

Saisir l’opportunité ou accentuer les difficultés

Pour Charles Beaudry, s’il y a bien une courte fenêtre d’opportunité, la crise actuelle représente également un obstacle important puisque « beaucoup d’organisations qui génèrent des impacts positifs, par exemple les entrepreneurs qu’on veut soutenir, se retrouvent dans des situations qui sont très précaires ».

Chantal Line est aussi consciente de cet enjeu. « Il faut investir dans les petites et moyennes entreprises, parce que, quand on va relancer, on va avoir encore moins de compétitions, on va avoir encore plus de contrôle des marchés par de grosses multinationales et donc, encore plus une mainmise sur les décisions de nos gouvernements. ». Selon elle, « c’est pour cela qu’il faut tirer profit de la crise, sinon ce sera encore pire quand on en ressortira. Les inégalités vont être encore pires, les pauvres être encore plus pauvres et les marchés vont être encore plus concentrés », craint-elle. « Ça dépend de nous. On peut laisser nos gouvernements faire ce qu’ils veulent avec les lobbys qui leur ont toujours imposé leurs priorités ou on peut se lever en tant que peuple et dire que cette opportunité, on ne la manquera pas », conclut-elle.

Porter l’épinglette aux 17 couleurs des ODD est donc un geste lourd de sens. Même si le Dr Arruda « n’en pas parlé ouvertement, il s’agit peut-être d’un activisme silencieux », pense Charles. « On est très content qu’il la porte », reconnaît Chantal Line. « Le plus puissant ce sont des gens comme Horacio qui la mettent, plutôt que les gens de l’ONU », se réjouit-elle.


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Coralie Beaumont

Avocate de formation, j'ai ensuite suivi un master passionnant en sciences et gestion de l'environnement à l'Université Catholique de Louvain en Belgique. Je termine en ce moment un D.E.S.S. en journalisme à l’Université de Montréal avec l’ambition de devenir journaliste environnementale au Québec. 

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