Agence de Presse21

COVID-19: Panne d’idées ou créativité à profusion?

PSY•COVID: une série de capsules sur nos comportements et processus cognitifs en confinement


Photo: Léa Beaulieu

Pour lire la première capsule psycho, c’est par ici

Les circonstances inusitées du confinement ont provoqué chez certains un bouillonnement d’idées nouvelles, que ce soit pour développer un projet artistique, réaménager son chez-soi ou mettre en place une initiative citoyenne face aux difficultés causées par la COVID-19. D’autres se sont retrouvés face à un grand syndrome de la page blanche. Le professeur en création numérique Patrick Gauvin et le psychologue spécialisé en créativité Sylvain Rouillard nous proposent une explication des effets du confinement sur la créativité. 

Par Léa Beaulieu 

Le professeur au baccalauréat de Création 3D à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Patrick Gauvin, définit la créativité comme la production d’un contenu à la fois original et pertinent. 

L’originalité correspond à la rareté scientifique ou à la nouveauté et la distinction par rapport à ce qui a été produit antérieurement, précise M. Gauvin. Pour le psychologue spécialiste en créativité et président de Créa-Québec Sylvain Rouillard, l’originalité en créativité est atteinte lorsque le produit et la façon d’y arriver sont nouveaux ou inusités pour la personne qui l’a créé. Il énonce alors qu’un produit peut être créatif même s’il a déjà été conçu par autrui, dans la mesure où son créateur n’était pas au courant. « Là est la différence entre innovation et créativité », souligne M. Rouillard. 

La pertinence est déterminée selon le domaine dans lequel la créativité est exprimée. Une création est pertinente au moment où elle amène une solution à un problème, permet de mieux saisir une réalité ou encore si elle amène une réflexion ou une réaction intéressante. 

La créativité est ainsi liée à son domaine, soutient M. Gauvin. « Il y a donc plusieurs types de créativité, indique-t-il. Par exemple, si on parle de créativité en sciences, ce n’est pas la même chose que la créativité en art. »

Le produit, pour être pertinent et original, est tributaire du processus par lequel passe une personne lorsqu’elle est créative, note M. Gauvin. Le professeur évoque que les principaux facteurs favorables à la créativité sont les facteurs cognitifs, environnementaux et personnels. 

 

Première étape: avoir une bonne idée 

Le premier facteur, celui de la cognition, réfère à la capacité d’une personne à générer et évaluer une idée, explique M. Gauvin. La cognition inclut alors l’accumulation de toute information qui parvient à nos sens et leur interprétation. Pour être créatif, on doit ainsi être en mesure d’avoir de bonnes idées, mais aussi d’identifier laquelle est nouvelle et pertinente. 

Au niveau de la méta-cognition, « le créateur doit prendre de la distance par rapport à ce qu’il fait et s’observer. Il est démontré que les personnes créatives sont des personnes d’abord très conscientes des éléments de l’environnement qui optimisent leur potentiel créatif », nomme M. Gauvin. 

 

Le milieu et le contexte pèsent dans la balance 

L’environnement est aussi très important en créativité. « Pour certaines personnes, le travail nocturne sera plus effervescent, pour d’autres, c’est le matin que la concentration est plus forte, évoque le professeur. Des gens vont écrire dans un café et d’autres ont besoin de calme et d’isolement. Il n’existe pas de norme par rapport aux facteurs environnementaux, mais cela demeure déterminant. »

L’environnement anxiogène dans lequel nous flottons depuis plusieurs semaines n’est pas un facteur positif au niveau de la créativité. M. Gauvin qualifie plutôt le stress d’élément perturbateur.

Pour M. Rouillard, la créativité n’est pas tout à fait freinée, mais plutôt détournée par la situation. Ainsi, si les préoccupations d’une personne sont importantes, notamment au niveau de ses besoins de base, sa créativité sera concentrée sur la résolution de ses problèmes immédiats. Selon le psychologue, l’anxiété et la déprime peuvent aussi affecter le plaisir d’une personne à créer, « mais cela peut enclencher un moteur de création dans d’autres types de productions, par exemple dans l’écriture d’un journal ».

En étant toujours dans le même schème, on se retrouve dans un environnement où il y a moins d’éléments imprévus, qui font généralement en sorte que beaucoup de nouvelles idées se dévoilent, alors qu’elles n’auraient pas été anticipées, ni même cherchées. 

― Patrick Gauvin

En plus de nous faire progresser dans un environnement stressant, la COVID-19 et le confinement, qu’il soit partiel ou total, font en sorte que notre environnement est considérablement restreint. « On travaille dans un endroit qui est clos, qu’on connaît très bien, notre chez-soi, rappelle M. Gauvin. À ce niveau, il y a moins de divergences et d’éléments non-prévus, moins d’aléatoire. On peut se retrouver à ressasser les mêmes idées, tourner en rond. Il y a donc moins d’émergence d’idées nouvelles. »

M. Rouillard est plus optimiste à ce niveau. « C’est sûr que d’avoir moins d’expériences nouvelles à l’extérieur nous appauvrit personnellement à long terme, mais dans un même environnement, on peut aussi y voir des occasions de créer et de répondre à de nouveaux défis », dit-il. 

Une autre particularité de la présente période est la diminution non négligeable de nos rapports sociaux, du moins en personne. Le président de Créa-Québec soutient que la créativité, pour plusieurs, s’exprime et se nourrit au contact des autres, grâce à la discussion et au partage d’idées. Selon lui, « les gens ont trouvé de relatives solutions par rapport à ça », faisant entre autres référence à l’utilisation de la visioconférence.

 

Sans oublier la dimension des facteurs personnels 

La personnalité, ou le facteur individuel, est aussi un facteur décisif en créativité, poursuit M. Gauvin. « L’ouverture d’esprit, la tolérance à l’ambiguïté, le goût du risque et la persévérance, pour ne nommer que ces aptitudes, vont être des accélérateurs ou des déclencheurs de créativité. Une personne qui en fait preuve va générer des idées nouvelles et pertinentes, donc créatives », mentionne-t-il.

M. Rouillard ajoute qu’en plus de percevoir ce qui est à concevoir et de « se donner la permission d’y trouver une réponse personnelle sans utiliser une réponse pré-existante dans son environnement », il est important d’avoir un « centre interne d’évaluation », ou l’aptitude à s’auto-évaluer, sans requérir absolument l’avis des autres.

Le contexte de crise sanitaire actuelle a pu avoir une incidence positive au niveau de la motivation à créer, croit M. Gauvin. Le professeur en création numérique considère qu’un produit pertinent s’inscrit généralement dans une société ou un contexte. En art, par exemple, on tente souvent de créer un dialogue qui adhère à ce contexte. « Là, je pense qu’on se retrouve tous interpellés en tant qu’êtres humains et en tant que sociétés, et je suis d’avis qu’au niveau de la créativité, ça nous mobilise, ça apporte une motivation [à créer] », avance-t-il.

« Plus il y a de problèmes à créer, plus notre créativité est sollicitée », résume Sylvain Rouillard.

Ce contexte inédit a amené un moteur ou une orientation dans la recherche et le désir de créer pour plusieurs, croit M. Gauvin. Il évoque que les scientifiques, mobilisés dans la recherche d’un traitement ou d’un vaccin, sont hautement interpellés au niveau de la créativité. « Et si on regarde d’un niveau plus collectif, on a vu des émergences de créativité qui n’auraient pas été possibles hors pandémie. » Des spectacles de balcon ont alors pris forme, ainsi que des initiatives citoyennes, notamment pour lutter contre l’insécurité alimentaire ou l’isolement des aînés. 

« Plus il y a de problèmes à créer, plus notre créativité est sollicitée », résume M. Rouillard. 

Un autre facteur individuel pouvant favoriser la créativité est la posture adoptée par une personne, assure M. Rouillard. Selon lui, une personne arrivera davantage à être créative en considérant la situation comme un défi à relever plutôt qu’en se positionnant comme étant captif d’une situation incontrôlable. « Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas tout faire qu’on ne peut rien faire », fait-il valoir. 

 

Mettre l’urgence sur pause

M. Rouillard ajoute que les pauses favorisent aussi la créativité. « Si on peut sortir de l’urgence et prendre un peu de temps, et ça peut être quelques minutes, cela permet un brassage des idées, qu’on appelle l’incubation, indique le psychologue. C’est très fertile. »

Les périodes de transition sont également considérables lorsqu’on parle de créativité, soutient M. Gauvin. « Il est démontré qu’au niveau de la créativité, les idées viennent généralement au moment et dans un contexte où on ne les attend pas, dit-il. Si on recherche une réponse à un problème mathématique, il y a de fortes chances qu’on ait un éclair de génie à l’extérieur de cette recherche intense. Mais celle-ci va avoir permis de réunir les informations nécessaires, dans notre mémoire active. » D’où l’importance des marches dans un parc, lorsqu’on ne dispose plus, en télétravail de la période de transition entre la maison et le travail.

 

Les bénéfices du processus créatif 

Le contexte dans lequel nous nous trouvons influence de bien des manières notre capacité créative. À l’opposé, la créativité a également un effet sur nous et notre position face au contexte. 

M. Rouillard indique que « la créativité permet une relative reprise d’un relatif pouvoir », ce qui est bien pratique dans un temps anxiogène et inconnu, où les gens ont peu de contrôle sur ce qui se passe.

Selon le psychologue, la créativité « ouvre aussi à un espace, un espace intérieur. Ça habite et active notre monde intérieur et vient balancer d’une certaine façon notre déficit au niveau du monde extérieur ». 

Pour M. Gauvin, la création est également une catharsis. « La création peut nous permettre de penser, et nous aider à comprendre ce qui se passe actuellement, en poussant nos réflexions plus loin ». 

M. Rouillard ajoute que la créativité permet d’exprimer la personne unique que l’on est, comme on puise dans nos référents et notre banque d’images et de souvenirs personnels pour créer. Au moment où on se trouve devant un problème national et mondial, on peut se réjouir de ces preuves de notre individualité, considère le psychologue. 

Une production journalistique réalisée par :

  • Léa Beaulieu

    Étudiante en journalisme à l'UdeM et travailleuse sociale, je m'intéresse particulièrement aux problématiques et inégalités sociales. Je suis motivée par la possibilité d'exposer des réalités humaines en alliant rigueur et empathie.


Intéressant, non ? Partagez la publication avec vos proches.

Un commentaire ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.