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Ne marchez plus pour l’environnement, cliquez !

Dans la rue, dans les écoles, dans la sphère politique et médiatique, le monde entier se posait la question environnementale. Et puis, la COVID-19 est arrivée.


Une marche pour le climat par-ci, une grève étudiante par-là, même la Planète s’est invitée au Parlement pour défendre sa cause. Si, par définition, l’environnement est partout, il n’avait pourtant jamais semblé aussi présent que lors de cette dernière année. Dans la rue, dans les écoles, dans la sphère politique et médiatique, le monde entier se posait la question environnementale. Et puis, la COVID-19 est arrivée.

Photo courtoisie d’Isabelle L’Héritier

Du 30 mars au 3 avril, une grève climatique portée, notamment, par les mouvements étudiants, devait avoir lieu. Mais, comment faire grève quand on est déjà confiné à la maison ? « On a décidé, avec les étudiants, qu’on ne voulait pas annuler nos plans mais qu’on voulait les ajuster et les faire en ligne », explique Isabelle L’Héritier, la chargée de mobilisation pour Greenpeace à Montréal. La campagne s’est alors réorientée notamment vers une tempête numérique sous l’hashtag #ÉcoutonslaScience.

« C’est ce que le gouvernement mettait de l’avant. Il faut qu’on écoute la science pour bien agir par rapport à la crise COVID. Alors, pourquoi on ne le fait pas pour la crise climatique ? », ajoute-t-elle. « C’est un peu mettre dans la face du gouvernement qu’il doit être cohérent pour toutes les crises… », soutient-elle.

Le 22 avril 2020, marquait le 50ème anniversaire du Jour de la Terre, une importante célébration environnementale.Malgré l’éclatement de la crise sanitaire, il n’a jamais été question d’annuler l’évènement se souvient Léo Cressatti, le coordonateur développement, partenariats et communication auprès de l’organisme homonyme, Le Jour de la Terre.

Photo courtoisie de Léo Cressatti

Alors, le 8 avril, l’organisme a lancé la campagne virtuelle #JourdelaTerrechezsoi qui s’est étalée sur une durée de trois semaines. Au menu, des vidéos réalisées par des citoyens, des conseils écolos et même des témoignages de personnalités comme le Cowboy Fringant, Jérôme Dupras.

« On a vraiment voulu impliquer la population et leur donner des solutions, des actions à réaliser même depuis chez eux », résume Léo qui se dit très satisfait du bilan de cette campagne numériquement improvisée. « La mobilisation numérique, c’est quelque chose qui va prendre de plus en plus d’importance », pense-t-il.

Un tournant virtuel pour un virage vert

Isabelle L’Héritier juge nécessaire de profiter de cette crise « pour repenser notre système et faire la transition énergétique, écologique et sociale dont on a urgemment besoin. On l’a répété, répété et répété pendant des années donc ce n’est absolument pas nouveau… mais maintenant c’est le moment de le faire ! » alors, « pas de retour à l’anormal ! » scande-t-elle, en référence à leur campagne en cours qui se concentre sur l’impératif d’une relance juste et verte.

Si la crise sanitaire actuelle reste une tragédie aux yeux de Diego Creimer, le responsable des affaires publiques et des communications de la Fondation David Suzuki, elle ne l’empêche pas d’y voir également une opportunité de se réorienter pour « se recentrer sur des modes de vie qui sont peut-être plus balancés, avec des liens d’interdépendance avec la nature qui seraient finalement respectés ».

Selon lui, “une fenêtre d’opportunité ne se présente pas souvent. Si on ne la prend pas maintenant, on va se retrouver à la sortie de cette crise avec une autre crise beaucoup plus difficile à résoudre », avertit-il. Si l’argent est massivement investi dans les énergies fossiles durant la crise de la COVID, s’ensuivra « une crise climatique aggravée et on ne sera pas sorti du bois ! », poursuit-il. 

Il est donc d’avis que tant qu’à faire « un effort historique comme celui d’en finir avec la Deuxième Guerre mondiale », mieux vaut le faire « dans la bonne direction » afin d’éviter de nourrir la crise climatique. « Une crise colossale qui est plus grave et plus difficile à résoudre que celle de la COVID», souligne-t-il.

Une fenêtre d’opportunité ne se présente pas souvent. Si on ne la prend pas maintenant, on va se retrouver à la sortie de cette crise avec une autre crise beaucoup plus difficile à résoudre, avertit la Fondation David Suzuki

Le bruit numérique et le bruit des casseroles 

À l’occasion d’une entrevue sur les objectifs de développement durable (ODD), Chantal Line Carpentier, une Québécoise cheffe du bureau de New York de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et Développement (CNUCED) expliquait que les gouvernements lisent les médias sociaux, « ils ont une intelligence artificielle qui passe au travers et qui voit quels sont les mots qui ressortent le plus souvent ». Selon elle, la mobilisation est donc encore tout à fait possible… mais en ligne. « Qu’on utilise les réseaux sociaux à bon escient et pas juste pour les mauvaises raisons comme les théories du complot et de la propagande ! », lance-t-elle.

Photo courtoisie de Diego Creimer

La Fondation David Suzuki a également un œil tourné vers l’univers numérique. « On essaie de toute nos forces d’influencer le plus possible la discussion sur les médias sociaux », confirme Diego Creimer de la Fondation. Toutefois, celui-ci admet que son organisation cherche encore des pistes de solutions. « Il est difficile de trouver une façon d’avoir le même impact qu’on avait avec 500 000 personnes dans la rue de Montréal en septembre », consent-il. Pourtant, « on est à un moment où on a besoin d’avoir cet impact-là ! Il y a plus de décisions économiques et écologiques qui se prennent en ce moment que celles qui se prenaient en septembre », juge-t-il.

Du côté de Greenpeace, les outils de mobilisation en ligne, ça les connaît. « On a été capable de se revirer de bord très rapidement parce qu’on avait les outils en place pour faire des actions numériques », se réjouit Isabelle L’Héritier. Elle livre une recette magique pour impact numérique majeur : des milliers de personnes qui tweetent sur une action durant un court laps de temps. 

Comme exemples de réussite, Isabelle cite le gouvernement Trudeau qui a annoncé le 23 avril dernier qu’il miserait sur une relance verte. « C’est vraiment grâce à la mobilisation citoyenne », pense la militante, « on n’aurait jamais entendu ça il y a cinq ans ». Un mois plus tôt, Greenpeace avait lancé une vaste campagne numérique à travers le Canada sous les hashtags #NoOilBailout et #BailOutPeople qui visaient à mettre l’accent sur le sauvetage des gens plutôt que de l’industrie pétrogazière. 

De plus, alors que le lobby pétrolier demandait un sauvetage financier de 20 milliards de dollars, Ottawa a plutôt alloué une enveloppe de quatre milliards pour le nettoyage des puits abandonnés, rappelle-t-elle. La jeune activiste y voit une autre victoire majeure « qui n’aurait jamais été imaginable sans la mobilisation citoyenne ».

« C’était une demande du mouvement environnemental depuis des années parce que les compagnies exploitent le territoire et quand l’exploitation est terminée, ils s’en vont et toute la décontamination repose sur le financement gouvernemental, qui est le financement des citoyens, au final. Ça ne devrait absolument pas être le cas. Si on fait une exploitation, on doit le faire du début jusqu’à la fin du cycle. C’est juste un principe de base », explique-t-elle encore.

Dans les coulisses numériques du pouvoir

Les réseaux sociaux n’ont pas l’apanage de la mobilisation numérique. Plutôt que les actions coup de poing qui visent à bloquer des projets, Greenpeace privilégie en ce moment la discussion avec « des propositions pour mettre en place des changements », explique Isabelle L’Héritier. C’est dans cette optique que l’organisme invite les citoyens à envoyer des courriels aux gouvernements, à signer des pétitions ou même à participer à des rencontres numériques avec leurs députés.

Même son de cloche du côté de la Fondation David Suzuki. S’il n’y a pas d’action planifiée en ce moment, le travail se concentre surtout sur l’écriture de recommandations pour les gouvernements. « Il y a des coalitions qui sont possibles en ce moment qui n’étaient pas possibles il y a six mois. Il y a une partie intéressante du secteur privé qui a compris qu’il y a une opportunité pour le gouvernement canadien de s’attaquer à la crise sanitaire et climatique en même temps. Il y a une opportunité de création d’emplois qui est assez intéressante », explique Diego Creimer. 

La mobilisation se poursuit donc directement dans les couloirs numériques des gouvernements. D’un bord comme de l’autre. 

François Geoffroy, le porte-parole de La Planète s’invite au Parlement, s’inquiète quant à lui des « dommages » que ceux qui travaillent en coulisse risquent de faire durant cette période. « C’est sûr qu’on est dans l’incertitude », reconnaît-il. « On sait qu’il y a des plans de relance qui sont prévus mais on sait aussi qu’il y a des lobbyistes qui poussent très fort pour suspendre le peu de réglementations environnementales qu’on a, au nom d’une certaine vision de la reprise économique », précise-t-il. 

Si, de l’autre côté, des organisations comme des ONG poussent pour une relance verte, elles ne poussent pas nécessairement avec les mêmes moyens financiers. « Alors, qui va l’emporter ? C’est sûr qu’on a des craintes énormes à ce niveau-là », admet le porte-parole de La Planète s’invite.

Diego Creimer de la Fondation David Suzuki trouve tout de même une occasion de relativiser : « C’est dommage de ne pouvoir faire ce qu’on faisait avant mais, s’il y a une consolation dans tout ça, c’est que les gens qui voudraient que les énergies fossiles soient sauvées… Ils ne peuvent pas non plus manifester ! (Rire) ».

Prendre du recul pour mieux s’élancer

La Planète s’invite au Parlement, un organisme qui s’est notamment fait connaître lors de la grande marche pour le climat du 27 septembre 2019 à Montréal, profite de cette mise en pause pour prendre un peu de recul. 

« La Planète s’invite, c’est une jeune organisation d’à peine un an et demi. Elle a été créée et portée à bout de bras par des bénévoles depuis le début. Alors, la pause de la COVID, c’est pour nous une occasion forcée de prendre le temps de se redéfinir, de se réorganiser et d’avoir une réflexion stratégique à plus long terme », explique le porte-parole de l’organisation, François Geoffroy.

Photo courtoisie de François Geoffroy

Mais prendre du recul ne signifie pas pour autant mise à l’arrêt. « Si les choses s’éternisent, notre vision va peut-être changer mais à ce stade-ci on ne prévoit pas de prendre le tournant numérique parce qu’on mise sur la formation des militants », explique encore le porte-parole.

C’est aussi un créneau occupé par Greenpeace qui a récemment organisé une série de webinaires sur les changements de système. « Souvent, durant les mobilisations, on n’a pas nécessairement le temps d’avoir des discussions en profondeur avec les gens », explique Isabelle L’Héritier. Or, ce ralentissement forcé du monde permet de lancer une réflexion plus en profondeur sur la question du pourquoi et du comment agir.

Misant sur les grèves et les blocages, La Planète s’invite n’exclut pas de lancer un nouvel appel à la grève climatique. « Ça va repartir et, à partir du moment où les gens repartent travailler, ils récupèrent leurs moyens de faire valoir leur désaccord en suspendant leur travail », explique François Geoffroy. 

Diego Creimer de la Fondation David Suzuki abonde en son sens : « on a appuyé les grèves climatiques dans le passé, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait plus. Mais il faudrait trouver un format sécuritaire de grève », concède-t-il toutefois. 

L’étouffant bruit médiatique

Greenpeace regrette que la mobilisation environnementale qui se déroule dans l’univers numérique ne transparaisse pas davantage dans les médias.

« L’une de nos stratégies importantes, c’est de faire sortir l’information dans les médias », explique Isabelle L’Héritier, chargée de mobilisation pour Greenpeace.

« Et, en ce moment, il n’y a pas peu à dire sur l’environnement ! Toutes les compagnies essaient de tirer profit de cette crise » mais il y a un « blocage médiatique », regrette-t-elle. Le bruit médiatique de la COVID empêche, selon elle, l’information concernant les enjeux environnementaux de circuler. « C’est aussi un problème médiatique. Il y a un focus presque unique en ce moment sur la COVID-19, comme si tout le reste avait stoppé. On peut essayer, de toutes les manières possibles de faire sortir l’information, si les médias ne la reprennent pas parce qu’ils estiment que ce n’est pas une priorité en ce moment… C’est hors de notre contrôle ! », déplore-t-elle encore.

Une production journalistique réalisée par :

  • Coralie Beaumont

    Avocate de formation, j'ai ensuite suivi un master passionnant en sciences et gestion de l'environnement à l'Université Catholique de Louvain en Belgique. Je termine en ce moment un D.E.S.S. en journalisme à l’Université de Montréal avec l’ambition de devenir journaliste environnementale au Québec. 


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