Agence de Presse21

Détroit au temps du coronavirus


Le centre ville de Detroit depuis la frontière canadienne - crédits photo : Nadine Shaabana pour unsplash.com

Depuis son compte twitter, la médecin urgentiste Joneigh S. Khaldun, alerte quotidiennement sur les ravages de l’épidémie de coronavirus à Détroit. Et pour cause, « des générations de pauvreté concentrée font de la ville un foyer particulièrement vulnérable ». Khaldun sait de quoi elle parle. En plus de son poste à l’hôpital Henry Ford, une des structures hospitalières majeures de Détroit, elle est également directrice adjointe de la santé au gouvernement du Michigan.

Les chiffres officiels mentionnent 9424 cas de coronavirus à travers la ville. Il s’agit pourtant seulement de la partie émergée de l’iceberg. Interviewée par le journal Detroit Free Press, Denise Fair, administratrice au département de santé publique de l’agglomération, soutient qu’un cas enregistré en cache facilement 10. À ce jour, près de 1108 personnes sont décédées des suites de la maladie. Les chiffres du gouvernement du Michigan sont accessibles ici.

« C’est une situation très triste. Nous n’avons jamais eu affaire à quelque chose de similaire » commente Omar Anani, chef cuisinier à Détroit. « Les gens veulent revenir à quelque chose de normal, mais il n’y aura pas de normal avant longtemps », ajoute-t-il.

Détroit est rapidement devenu un des épicentres de l’épidémie de coronavirus aux États-Unis. L’extrême précarité dans laquelle se trouve un grand nombre d’habitants participe à l’effet de bombe à retardement.

Le centre ville de Détroit depuis la frontière canadienne – crédits photo : Nadine Shaabana pour unsplash.com

Un sondage effectué en 2018 par l’université du Michigan et le département de la santé à Detroit rapporte un nombre conséquent de facteurs de vulnérabilité. Parmi les 700 000 âmes qui habitent Détroit, 38% d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Il s’agit du taux le plus important parmi les métropoles américaines. Plus d’un tiers des adultes souffrent d’obésité. Les chiffres relatifs à la mortalité infantile (3% des naissances) et au nombre de mères adolescentes (70 mères sur 1000 ont moins de 18 ans au moment de l’accouchement) sont largement plus élevés à Détroit que dans le reste de l’état du Michigan. D’après ce même sondage, les conditions de vie des habitants impactent directement leur santé.

Diana est infirmière dans un des centres hospitaliers de la ville. Un des meilleurs selon elle. Chaque jour apporte pourtant son lot de directives instables et de pénuries de matériel. L’unité dans laquelle Diana travaille est l’une des premières à s’être transformée pour accueillir exclusivement des patients atteints du coronavirus. A l’image des habitants de la ville, ils sont majoritairement afro-américains. Et sont pour la plupart âgés entre 40 et 60 ans. Diana confie s’être habituée au chaos quotidien. Au début de l’épidémie, les réserves de protections médicales de l’hôpital se sont rapidement amenuisées. A défaut de masques, ses supérieurs obtiennent pour elle une visière faciale en plastique qui ressemble « à celle que les policiers portent pendant les émeutes ».

Selon elle, à Détroit, l’épidémie touche en priorité les populations à la santé déjà fragile. Par exemple, les personnes souffrant d’hypertension, de diabète, d’obésité ou de troubles associés au tabagisme. Des profils fréquents à Détroit. Bien sûr « l’hôpital ne refusera jamais qui que ce soit ». Mais Diana doute que ces personnes puissent ne serait-ce que s’y rendre.

Depuis la fermeture de son restaurant, quelques jours avant que le gouverneur du Michigan en fasse officiellement la demande, Omar Anani se réorganise pour aider au mieux sa communauté. Il cuisine et livre des repas gratuits à des employés hospitaliers. Avec les nouvelles règles d’hygiène et de distanciation sociale, certaines infrastructures médicales sont dans l’impossibilité d’assurer la restauration de leur personnel. Les cafétérias sont à l’arrêt. Soutenu par des donations individuelles, Omar Anani distribue en moyenne une centaine de repas par jour.

Des repas gratuits Diana en reçoit « tout le temps », mais ce n’est pas ce dont elle a le plus besoin. À l’hôpital, les masques, gants, lingettes nettoyantes et savons pour les mains se font rares. Diana est en colère. « Je connais des gens qui sont chez eux, en sécurité et au chômage. Aujourd’hui, ils gagnent plus d’argent que moi. Et c’est moi qui suis en première ligne. Ce n’est pas juste », martèle-t-elle. « Les infirmières sont mal payées et mal considérées ». En dépit de la situation, Diana peut néanmoins compter sur le soutien de la communauté locale et de ses collègues soignants.

 

« Détroit a une histoire difficile » commente Shira, étudiante en éducation à l’université Wayne State.  « Le point positif avec l’épidémie de coronavirus c’est que, grâce à cette part de notre histoire, à Détroit nous savons prendre soin de nous par nous-même. C’est devenu une seconde nature. C’est de la survie, mais c’est aussi de l’amour ».

 

 

 

 

 


Intéressant, non ? Partagez la publication avec vos proches.

Gabrièle Chalon

Finissante au D.E.S.S en journalisme de l'université de Montréal et vadrouilleuse intrépide. Je suis passionnée par les questions de justice sociale aux Etats-Unis, le journalisme de données, les récits de vie et les épaves d'avions abandonnées. Je pratique la photographie à mes heures perdues. J'écris sur l'actualité à Detroit et sur la résilience de la communauté locale.

Un commentaire ?

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.